Dans son rapport ce jour, l’organisation de la défense des droits de l’homme, Human Rights Watch dénonce répression contre l’opposition avant les élections prévu pour décembre prochain en RDC.
D’après cette organisation internationale, depuis mai 2023, les autorités de la République démocratique du Congo ont pris pour cible des dirigeants de partis politiques d’opposition, en restreignant leurs libertés fondamentales et en arrêtant des cadres de partis, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
La répression se déroule dans un contexte de tensions politiques accrues avant le démarrage officiel, le 19 novembre, de la campagne pour l’élection présidentielle.
Les élections générales sont prévues pour le 20 décembre. En vertu du droit régional et international relatif aux droits humains, les autorités congolaises sont tenues de garantir les droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de circulation. Les autorités devraient mettre fin aux arrestations arbitraires et respecter pleinement le droit des personnes détenues à une procédure régulière et à un procès équitable.
« La récente vague d’arrestations et de restrictions des libertés fondamentales par les autorités congolaises vise les candidats à l’élection présidentielle issus de l’opposition et leurs dirigeants », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal de Human Rights Watch sur la RD Congo. « Le gouvernement devrait veiller d’urgence à ce que ces candidats, leurs partisans et tous les Congolais-e-s puissent librement exprimer leurs opinions et organiser des manifestations pacifiques avant les scrutins de décembre. »
Le 23 mai, la police a empêché le convoi de Moïse Katumbi, chef du parti d’opposition Ensemble pour la République, de se rendre dans la province du Kongo-Central, juste au sud de Kinshasa, où il avait prévu plusieurs réunions et rassemblements politiques. Des policiers ont bloqué les véhicules de M. Katumbi et de ses associés sur instruction du gouverneur de la province, Guy Bandu Ndungidi. Invoquant des raisons sécuritaires, M. Ndungidi avait auparavant demandé à M. Katumbi de reporter ses projets et d’organiser un déplacement d’une journée dans une seule ville au lieu d’une tournée provinciale, ce qu’il avait rejeté.
Le 25 mai, outre M. Katumbi, la police a empêché les candidats de l’opposition Martin Fayulu, Delly Sesanga, Matata Ponyo et leurs militants de se rassembler devant le siège de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Les autorités leur avaient auparavant ordonné de ne pas y tenir le sit-in qu’ils avaient prévu pour protester contre ce qu’ils ont décrit comme un « processus électoral chaotique ».
La police s’est servi de gaz lacrymogènes pour disperser la foule et a passé à tabac certains manifestants. Certains d’entre eux ont réagi en lançant des pierres et des projectiles sur les forces de sécurité. Deux jours plus tard, les autorités ont interdit une autre manifestation de l’opposition dans la ville de Lubumbashi, dans le sud-est du pays, et la police a bloqué certaines rues pour empêcher tout rassemblement.
Human Rights Watch a précédemment documenté la violente répression, le 20 mai dernier, d’une manifestation pacifique tenue par plusieurs partis d’opposition. La police a arrêté des dizaines de personnes et en a gravement blessé au moins 30, dont un enfant.
Le 30 mai, des agents du renseignement militaire ont arrêté le principal conseiller de M. Katumbi, Salomon Kalonda, sur le tarmac de l’aéroport de N’djili à Kinshasa alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur un vol avec M. Katumbi et ses collaborateurs. M. Kalonda a été placé en détention au quartier général des renseignements militaires jusqu’au 10 juin, puis transféré à la prison militaire de Ndolo à Kinshasa. S’adressant aux médias le 5 juin, le conseiller juridique à l’état-major des renseignements militaires, le lieutenant-colonel Kangoli Ngoli Patrick, a déclaré que M. Kalonda était accusé de possession illégale d’arme et d’atteinte à la sécurité de l’État. Il a soutenu que M. Kalonda avait été en contact avec le groupe armé M23 et ses soutiens rwandais « pour renverser le pouvoir en place en République démocratique du Congo par tous les moyens ».
Le 8 juin, des membres du gouvernement et les renseignements militaires ont organisé une réunion avec plusieurs ambassadeurs étrangers pour présenter ce qu’ils ont qualifié de preuves à l’appui de ces allégations. Le 14 août, M. Kalonda a été formellement inculpé pour trahison, de possession de documents classifiés et d’incitation du personnel militaire « à commettre des actes contraires à leur devoir ».
Le frère de M. Kalonda, Moïse Della, a déclaré à Human Rights Watch qu’après l’arrestation, la police avait perquisitionné les résidences de M. Kalonda à Kinshasa et Lubumbashi ainsi que certaines propriétés des membres de sa famille, notamment la maison de leur mère âgée de 85 ans.
« Ils ont cassé son lit et les fenêtres de sa chambre ainsi que des armoires et un buffet », a déclaré M. Della. « Ils l’ont vraiment traumatisée. Elle est musulmane, mais ce vendredi-là, elle n’a pu aller prier à la mosquée…Ils ont saccagé sa maison et ils ont emporté ses cassettes du Coran. ». Des agents du renseignement militaire ont également perquisitionné la résidence de M. Katumbi à Kinshasa.
L’arrestation et la détention de M. Kalonda et les perquisitions manifestement abusives des domiciles des membres de sa famille soulèvent de sérieuses inquiétudes quant aux efforts politiquement motivés pour intimider l’opposition politique, a déclaré Human Rights Watch. Des sources onusiennes et diplomatiques ont déclaré à Human Rights Watch qu’elles craignaient que l’arrestation de M. Kalonda ne réponde à des fins politiques.
Le 20 juin, des membres de la Garde républicaine, une unité militaire qui protège le président, ont arrêté un autre candidat de l’opposition à la présidence, Franck Diongo, à Kinshasa, l’accusant de détention illégale d’arme. Il a été placé en détention à l’état-major des renseignements militaires, puis transféré à la prison militaire de Ndolo le 8 juillet à l’issue d’une audition devant un procureur militaire. Il a été remis en liberté sans inculpation le 15 juillet.
Chérubin Okende, député âgé de 61 ans et porte-parole du parti politique de M. Katumbi, a été retrouvé tué par balle dans sa voiture à Kinshasa le 13 juillet. Le gouvernement congolais a rapidement procédé à deux arrestations, dénonçant cet « assassinat » et annonçant une enquête impliquant « les services de renseignement de pays amis » pour garantir la transparence.
Des experts médico-légaux et des policiers de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Congo (MONUSCO) ainsi que des experts sud-africains et belges prêtent apparemment assistance aux enquêteurs congolais, selon un proche de M. Okende et des sources onusiennes et diplomatiques. L’enquête sur le meurtre de Chérubin Okende devrait être crédible, impartiale et transparente et tous les responsables devraient être dûment poursuivis en justice, a souligné Human Rights Watch.
Dans plusieurs affaires récentes, le système judiciaire congolais et les agences de sécurité de l’État – notamment les services de renseignement, la police et la Garde républicaine – ont agi avec partialité, a constaté Human Rights Watch. Dans un mémorandum adressé à la Commission nationale des droits de l’homme le 15 juillet, plusieurs organisations de la société civile congolaise ont appelé le gouvernement à mettre fin aux arrestations et détentions arbitraires par les services de renseignement.
La répression gouvernementale a également un impact sur la couverture médiatique des partis d’opposition, a déclaré Human Rights Watch. Le 31 juillet, l’organisation de défense de la liberté de la presse Journalistes en danger (JED) a exprimé sa profonde préoccupation « face à la montée des actes d’intolérance et de violence physique contre des journalistes par des militants de partis politiques » lors de la couverture d’événements politiques. Le 29 juillet à Kananga, des partisans présumés du parti au pouvoir ont lancé des projectiles qui ont atteint au moins quatre journalistes et six caméramans couvrant le cortège de Sesanga, qui a également été touché.
Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme a signalé en août que « l’environnement préélectoral en [RD Congo] est de plus en plus caractérisé par un rétrécissement de l’espace civique et des violences politiques et électorales, des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements et des menaces ciblant l’opposition politique, un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques, et des discours de haine et d’incitation à la violence ». Le Bureau a prévenu que de tels abus « risquent d’entacher la crédibilité du processus électoral » et « augmentent les risques de la violence ».
Dans une déclaration conjointe, les États-Unis, la délégation de l’Union européenne et plusieurs États membres de l’UE, le Japon et le Royaume-Uni ont récemment fait part de leurs préoccupations concernant « l’usage excessif de la force en réponse aux récentes manifestations, les restrictions imposées à la liberté de mouvement ainsi que les arrestations arbitraires ».
Le président Félix Tshisekedi, qui brigue un second mandat, n’a montré que peu d’intérêt à ce que tous les partis politiques puissent opérer librement, a constaté Human Rights Watch. Le 25 juin, dans un discours prononcé dans la province du Kasaï-Oriental, M. Tshisekedi a déclaré qu’il s’attaquerait « sans hésitation, sans remords à tout Congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité de notre pays…Peu importe ce qu’on en dira : violations des droits de l’homme, privation de libertés…je n’en démordrai pas parce que démocrate je suis, démocrate je resterai. Je n’ai aucune leçon à recevoir de qui que ce soit dans ces domaines. »
Le gouvernement congolais a l’obligation juridique internationale de veiller à ce que ses forces de sécurité ne violent pas les libertés fondamentales nécessaires à la tenue d’élections libres et équitables, notamment les droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de mouvement. Les autorités devraient enquêter et prendre les mesures adéquates à l’encontre des responsables gouvernementaux qui violent ces droits, quel que soit leur poste ou leur rang.
« Arrêter des proches de dirigeants de l’opposition et les empêcher de se déplacer dans le pays ou d’organiser des manifestations et des rassemblements envoie un message effrayant à la veille de la campagne électorale », a déclaré Thomas Fessy. « Le gouvernement devrait d’urgence inverser cette tendance, qui risque d’aggraver une situation déjà extrêmement tendue. ».
Avec Human Rights Watch